Maus,un survivant raconte, ART SPIEGELMAN

Publié le par pacocado


Voici,une fois  n'est pas coutume, une bande dessinée, souvent décriée comme un art mineur. Art Spiegelman, nous prouve ici le contraire: Il dessine dans deux tomes intitulées "Mon père saigne l'histoire", puis "Et c'est là que les ennuis ont commencé" l'histoire de ses parents, juifs polonais pendant la deuxième guerre mondiale, de l'occupation allemande à  la vie dans les ghettos jusqu'à l'horreur ultime: l'enfer concentrationnaire. La BD alterne la description de l'auteur recueillant les souvenirs de son père et le récit historique à proprement parler et c'est peut-être une des raisons qui fait la force de ce livre:

D'un côté donc, Spiegelman dessine la naissance du récit, et la douleur  qui va avec: Il  se représente dans les disputes avec son père, homme, acarariatre et  pingre, et parralèlement s'en veut de dessiner un homme qui illustre parfaitement bien les caricatures racistes du vieux juif arabe.  Il  se demande si son oeuvre sera bien à la hauteur de ce qu'on enduré les juifs, si elle arrivera à exprimer la vérité de ce qu'ont vécu ses parents  et même si son oeuvre  a du sens: Samuel Becket a bien dit , raconte-t-il dans un dialogue avec  son psy : "Chaque mot est comme une tache inutile sur le silence et le néant".

Et parralèlement, je le disais, Maus plonge dans les années noires de la guerre et dessine les faits inracontables et inimaginables que sont l'holocauste. Les masques d'animaux que portent les personnages (de souris pour les juifs, de chats pour les allemands nazis, de porcs pour les polonais non-juifs el de chiens pour les américains), loin d'être un effet de style coquet est en fait un moyen d'accentuer l'anonymat de chaque personne dans les camps, d'accentuer le fait qu'elles ont été décimées  à cause de ce  qu'elles représentaient, ici de simples souris, de simples proies pour des chats cruels ,mais aussi un moyen de souligner que loin d'être le récit de son père, c'est finalement celui des 6 millions de juifs décimés là-bas.
Umberto Eco a dit  "Maus est un livre que l'on ne referme pas, même pour dormir". Il avait raison: La force des dessins hante pour longtemps: On a tous vu "La liste de Schindler"  ou "La vie est belle", mais depuis que sans doute dans notre prime jeunesse, nous avons été traumatisé par la mort de Bamby et que nos parents nous on  séché nos larmes en nous expliquant que ce n'est que du cinéma, on se dit toujours que ce sont des acteurs, avec des caméras, que  finalement ,ce n'est pas vrai. On a pu lire aussi  "si c'est un homme " de Primo Levi et autres essais ou récits sur ce sujet, mais les mots, aussi forts soit-il ne font que laisser libre court à notre imagination qui peut bien faire ce qu'elle veut et censurer ce qu'elle désire. Sans vouloir minimiser les oeuvres que je viens de citer car elles sont toutes également en ce qui me concerne des chefs d'oeuvre,  cette BD m'a filé la plus grosse claque à ce sujet, car  c'est une histoire vraie, celle de Vladek, père d' Art qui nous raconte avec honnêteté cette horreur sans aucun pathos ( et même parfois de manière un peu distancée entre deux plaintes sur sa nouvelle femme ou ses projets de travaux) , et les dessins ne permettent aucune censure de notre esprit, leur minimaliste obligeant à  se concentrer sur l'essentiel.

Au delà, c'est aussi le récit de la culpabilité, celle d'avoir survécu  de Vladek qui finalement n'est jamais sorti de cet enfer, mais aussi celle d'Art d'avoir vécu, puisque né en 1948 alors que son jeune frère dont les photos hantent le salon familial y est resté,  et qui livre ici finalement sa propre spychanalyse.

Une oeuvre à faire lire à tous les collégiens ou lycéens   tout comme il faudrait leur  faire visionner "nuits et brouillards", et qui a obtenu le prix pulitzer en 1992, le seul attribué à une BD.



Publié dans Inclassable

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article